LES
MONTAGNARDS
DES ALPES,
(1488)
PAR M. FABRE D'OLIVET.
Deuxième édition.
II.
PARIS
AMBROISE DUPONT, ÉDITEUR,
7, RUE VIVIENNE.
1837.
Стр.1
TABLES DES MATIÈRES
XX.
XXI.
XXII.
XXIII.
XXIV.
XXV.
XXVI.
XXVII.
XXVIII.
XXIX.
XXX.
XXXI.
XXXII.
XXXIII.
XXIV.
XXXV.
XXXVI.
XXXVII.
XXXVIII
XXXIX.
XL.
XLI.
XLII.
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13
22
29
34
49
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67
74
78
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87
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163
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XX.
Le ciel était nébuleux. Les nuages s'empilaient sur les
pics des montagnes, et des vapeurs épaisses couvraient la
vallée. Les unes semblaient monter, les autres descendre le long
des ravines, couvrant et découvrant tour а tour les rochers
crénelés de palissades, et le Vaudois immobile et debout sur la
pointe du roc, inspectant l'ennemi. Le soleil levant, qui déchira
un moment les nuées, les peignit d'un rouge sanglant dont les
teintes s'effacèrent peu a peu; et les nuages roulèrent sur la
plaine comme un voile de deuil.
Bientôt
retentirent
les voix mâles et sonores des
capitaines et des chevaliers; les ordres coururent de rang en
rang; et l'on marcha.
A ce moment terrible, il n'était point de si brave
montagnard qui ne sentît son cœur frémir dans sa poitrine en
voyant briller les armets et les cuirasses des soldats qui
s'avançaient en lignes profondes et menaçantes, et qui ne jetât
autour de lui un regard douteux et craintif, comme pour
compter ses compagnons... Un contre cinq!
Mais ils étaient tous frères! l'ami combattait a côté de
son ami, le fils а côté du père, le soldat а côté du chef; ou plutôt
il n'y avait pas de chefs! Chacun cherchait a s'élancer au
premier rang, et nul n'avait besoin d'ordre pour combattre et
mourir.
— Enfans du Seigneur! criaient les Barbas, voici le jour
ou le fidèle doit se ceindre les reins, prendre la lance du
combat, foudroyer les ennemis de Dieu. Liberté sur terre, ou
palme du martyre au ciel! Mort aux idolâtres, aux guerriers de
Babylone, aux esclaves de l'Antéchrist et de la prostituce! Qu'il
soit fait selon la sainte parole: périssent les serviteurs de Baal!
— Mort aux idolâtres! répondaient les guerriers. Puis il
se faisait silence sur la montagne. Un de ces silences pendant
lesquels le plus brave sent ses genoux plier et se dérober sous
lui.
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Les montagnards des Alpes (II)
Chantepleure marchait le
premier. La
XX
formidable
colonne avançait vers Costa Rossina en tournant le roc della
Torre. On eût dit un serpent a la tête écaillée de fer, glissant
entre les rochers, ayant pour aigrette le fer brillant des lances et
le pennon du chevalier; puis derrière cette tête terrible, les
coutilliers, les archers l'arbaléte tendue, et enfin les fantassins
vagabonds et pillards. Elle arriva au pied du mont. Il était nu et
silencieux, le chemin rompu, trois palissades élevées sur le
penchant; et derrière les pierres entassées on ne voyait que la
pointe scintillante des épieux, et la plume rouge de Pragela.
L'armée de l'Eglise s'arrêta un moment, comme pour
reprendre baleine. Puis, les trompettes sonnèrent, et les soldats,
serrant les rangs, commencèrent а gravir. On était а la portée du
trait. Les archers lancèrent en haut une volée de flèches.
Aussitôt une clameur terrible, un hurlement général
s'éleva de la montagne, roulant d'échos en échos et croissant
dans sa route. Les Vaudois se dressèrent tout a coup au dessus
des rochers; la montagne sembla se hérisser d'armes et de
soldats; et une grêle sifflante de pierres et de traits inonda la
colonne. Les hommes
s'entr'ouvrirent.
— En avant!
d'armes chancelèrent, et leurs rangs
cria Chantepleure. Vive Dieu! vous
laisserez-vous chasser comme des enfans, avec des cailloux?
Emparons-nous de leur magasin, et ils ne nous en jetteront plus,
parbleu!
— Viva la Ecclesia! répondirent les hommes d'armes,
et ils commencèrent a monter intrépidement sous cette pluie
meurtrière qui frappait sans relâche le casque et l'écu. — Viva
la Ecclesia! — Meure l'idolâtre! répondaient les Vaudois; et
leurs frondeurs redoublaient de vitesse. En vain les arbalétriers
de l'Eglise voulurent leur répondre. Leurs garrots se perdaient
ça et là sur les rochers, tandis que l'archer vaudois, caché par les
buissons et les pierres, ne frappait qu'a coup sûr. La colonne
chancelait une seconde fois.
— Courage, vive Dieu! cria Chantepleure. Plus tôt nous
serons au bout, plus tôt nous serons а couvert! Cinquante écus
pour celui qui mettra le premier le pied la haut!..
Il n'avait pas encore fini, que voilà, avec un long
hurlement, une roche énorme qui tombe comme la foudre,
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Les montagnards des Alpes (II)
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bondissant de roc en roc, et qui, s'ouvrant un large et sanglant
chemin au milieu des rangs presses qu'elle broie contre la
pierre, roule dans le précipice rouge de carnage et de chairs
meurtries.
— Courage! courage, enfans! répéta Chantepleure en
reformant sa colonne, ou bien je gagnerai moi-même les
cinquante écus! Qui m'aime me suive, et qui aime l'argent me
devance!
— Viva! viva! Et les soldats se précipitaient a la suite
de l'intrépide aventurier. Chantepleure a la rescousse! — En
avant! braves! disait-il, et sa voix sonore dominait le tumulte.
Nous y voilà, par la sainte barbe du pape! Bravo, mon
camarade; je te promets les cinquante écus!
Car un soldat passant devant lui était parvenu а la
première palissade et déjà arrachait un pieu. — Je suis mort!
cria-t-il tout а coup. La hache de Raymond lui avait fendu la
tête;
— Encore mieux! dit Chantepleure en riant. Ventre
saint Quenet, l'ouvrage est fait et ma dette payée!
La palissade et la plate-forme furent emportées par les
hommes d'armes. Les Vaudois se retirèrent en bon ordre
derrière la seconde.
— En avant! cria l'infatigable Chantepleure. Cent écus
d'or а celui qui apportera la grande corne rouge du diable que
vous voyez là-haut! premier succès les soldats gravissaient a
l'envi. Mais leur position avait changé. La montagne se faisait
de peu.
Animes par leur us en plus haute et ardue. En flanc, de
toutes parts, les frondeurs vaudois, dont le coup plus rapproche
était encore plus sûr; et derrière eux, un précipice déjà couvert
de cadavres et cette ravine souillée de sang. La colonne
chancela, tourbillonna sous une grêle épaisse de pierres et de
flèches, et retomba sur la plate-forme.
— Vengeance aux martyrs! s'écria Raymond saisissant
le moment. A moi, fidèles! et brandissant sa hache, il se rua sur
l'ennemi décou rage.
Le choc fut
terrible. Les hommes d'armes furent
enfoncés, haches, foules aux pieds. Les uns, meurtris, écrases
par le choc contre la pierre, roulèrent dans le précipice; les
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