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terre, que je n'hesite pas de vous assurer que lord Walpole aura surement repu ordre
de repefcer a Petersbourg les memes propos que j'ai entendu se reproduire ici sous mille
formes, c'est-a-dire que la question de la Pologne n'est point uno question russe et
que le projet de I'-aneantissement de la Saxe est un projet dans le genre de Buonaparte.
Pour paralyser done cette guerre d'intrigues, voici les idees que le plus humble
de vos serviteurs, mais aussi rempli pour vous d'un attachement sans bornes, ose vous
soumettre: ' '
1°. П faut faire naitre entre les cabinets de Versailles etdeSt.-James les memes
defiances qui existent entre les deux peuples, de maniere qu'en aucun cas ils' ne
marchent dans la meme ligne. Un mot confidentiellement et adroitement lance sur la
pogsibilite eventuelle de gagner quelques places des Pays-Bas et sur 1'article de la
flotte produira selon moi a Versailles le plus grand etfet et developpera dans quelques
personnes au moins de ce cabinet des semences d'anciens -ressentiments, qui detruiront,
quand ce ne serait qu'en partie, I'intimite dangereuse des deux cabinets.
2°. D'ordonner a votre ambassadeur a Londres, a I'instar de ce qui s'est fait
sous 1'Imperatrice en 1789, de se rapproclier, sans pourtant se compromettre, des Wellesley
et du paiti des Granville et "Whitbread, deleur raconter sans affectation et comme
historiquement, a qui Ton doit reellement la chute de Buonaparte et comment les choses
se sont passees lors des negociations de Chatillon, ce qui est ignore en Angleterre; enfln
d'expliquer a tout le monde sans reserve, cOmme sans apprets, que les intentions de
V. M. I. sont interpretees, qu'elles n'ont au fond lien de dangereux, qu'elles sont touta-fait
dans le sens anglais et dans celui de I'liumanite en general. L'execution de cet
article demande sans doute beaucoup d'adresse, mais aussi sera-t-il d'un bien inflni
pour le monde.
3°. De travailler de notre cote I'opinion publique par des articles bien rediges et
inseres en forme de lettres de Vienne dans quelques gazettes de Londres, surtout
dans le „Times", de Francfort, de Rome et de Paris.
4°. De produire enfln I'effet de faire craindre lord Castlereagh et see compagnons
pour leur existence ministerielle, s'ils ne renoncent, comme m-r Pitt a ete oblige de le
faire, a une opposition, dans laquelle le peuple anglais ne verrait qu'une . tracassorie
qui n'a rien de commun avec ses veritables interets.
Je sens, Sire, qu'a une ame cdmme la votre, et a I'elevation ou V. M. I. s'est placee,
ces menees diplomatiques doivent paraitre bien chetives et de pen de valeur, mais
elles previennent souvent I'effusion du sang et epargnent des troubles et des malheurs
sans nombre aux peuples, qui, comme I'a dit un ancien, payent souvent le delire qui
n'est pas le leur.
Je flnirai cette lettre par me jeter aux pieds de V. M. I. pour lui demander pardon
d'avoir tant ose et la grace de pouvoir avant mon retour a mon poste. Sire, entendre
vos idees et votre systeme a regard de I'ltalie. lis seront un phare que je ne perdrai
iamais de vue et qui me dirigera toujours surement dans les chances les plus difflciles.
Je suis etc.
Vienne, ce 1/13 Novembre 1814.
2.
Докладная запиека A. И. Чернышева Императору Александру I
о возстановленіи Польши.
(В на, Декабрь 1814 г.).
S'il est essentiel a V. M. I. de connaitre les opinions des indmdus
qui ont 1c bonheur dc Гарізгосігег, il est un devoir sacre pour ceux-ci
Стр.1
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de ne lui deguiser aucune de leurs pensees relatives au bien-etre de son
Empire et a sa gloire personneile. C'est partant de ce principe, Sire, -qui
a ete la regie immuabie de ma conduite a son egard, que j'oserai apres
de mures reflexions aborder une question dont I'importance occupe tons
les. esprits, et qui peut ал^оіг par la suite une part si directe sur la
prosperite de la Russie.
. V. M. daignera se rappeler qu'en 1811, prevoyant que la guerre
entre la Russie et Napoleon etait inevitable, j'ai ete un des premiers a
reproduire I'idee du retablissement de la Pologne, considerant alors cet
evenement comme un moyen de guerre propre a nous donner gain de
cause dans I'opinion des Polonais, a augmenter par la nos ressources et
a diminuer celles de'notre ennemi. Par bonheur pour rhumanite, V. M.
avail par une prevoyance admirable calcule d'avance toutes les cbances
et adopte un systeme different, dont le- resultat a ete le salut de I'Europe
entiere.
11 etait naturel qu'apres avoir porte nos armes victorieuses jusque
sur les bords de la Loire et donne la paix au monde a Paris, la Russie
en retirat quelque avantage direct; aussi le ducbe de Varsovie que V.
M; avail deja conquis sur les armes de Napoleon fut-il designe comme
devant a Tissue du prochain congres gtre joint aux etats de V..M. Cette
certitude donna lieu a des conjectures, asseziondees sur le retablissement
de la Pologne et le dessein qu'avait V. M. de prendre le litre de Roi de
ce royaume.
A. notre retour a St.Petersbourg nous trouvames tons les esprits
en grande fermentation sur la probabilite de cet evenement. La presque
totalite ne Га considere que comme devant avoir des consequences tres
lunestes a la Russie, vu qu'on ne pouvait retablir ce royaume qu'en
ajoutant tot ou tard au ducbe de Varsovie une bonne partie de nos
provinces polonaises, conquetes, disait-on. qui nous avaient coute taut de
sang et taut de sacrilices et qui avaient place I'lmperatrice Catherine a
un degre des puissances qui lui avaient procure une influence si preponderante
et si directe sur tons les cabinets de I'Burope. A ces reflexions
on ajoutait, qu'il etait possible que le genie de V. M. ainsi que le souvenir
de ses bienfaits retinssent les Polonais dans de justes bornes de
soumission et de fldelite taut que durerait son regno, mais que Ton ne
pouvait point repondre qu'apres les Polonais ne cherchassent a redevenir
entierement independants de la Russie, et alors la source de tons nos
maux et de toutes nos calamites deriverait de I'epoque la plus brillante
et la plus heureuse qui ait jamais existe pour la Russie; que pour lors
une nation belliqueuse de 14 a 15 millions d'habitants, mue par une
seule et meme volonte, profiterait de sa position locale propre a une
prompte concentration de ses forces, pour menacer notre antique capitale
Стр.2
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toutes les fois que cela lui conviendrait, tandis que Tetendue de nos
frontieres et nos distances nous empecheraient d'arriver a temps pour
la defendre, a moins de rester constamment amies a cet effet. On concluait
enfln, que cet evenement pom*rait non seulement nous faire courir
les chances de perdre par la suite toute influence en Europe, en nous
eloignant d'elle, mais de voir les Polonais redevenir encore une fois le
fleau de la Russie. Plusieurs personnes rappelaient meme 1 epoque fatale
de I'mvasion de la Russie par Ladislas- au commencement du 17-me
siecle, et que le plus beau modele de patriotisme qu'offre notre histoire
se rattache a ces temps.
Je n'ai rapporte ces propos a V. M. que parce qu'il est fort important
pour elle de connaitre les opinions d'une grande partie de ses sujets,
afln de ne point se tromper sur leur maniere d'envisager la question et
preparer a loisir les arguments propres a les eclairer et a les tranquilliser
a cet effet.
Voici, Sire, les raisonnements dont j'ai entendu les partisans du
retablissement de la Pologne se servir. Je me suis servi dans le temps
pour repondre a ces cris d'alarme...('?) qu'il fallait d'abord considerer les
malheurs auxquels la Russie a ete exposee par cela meme, que le mecontentement
des Polonais dont I'existence nationale a ete detruite ouvrait
le chemin de la Russie a tons ceux qui les flattaient de la perspective
de redevenir une nation, sentiment que Ton ne pouvait se flatter do,
detruire ni meme de reprouver sans injustice; qu'il etait impossible de
retenir sous la forme d'une province un royaume entier y compris la
capitale; qu'il fallait done ou retablir le royaume de Pologne, ou renoncer
a I'acquisition du duche de Varsovie et laisser ce foyer de troubles et
de discorde entre les mains de nos voisins, qui pourraient dans le
cas d'une guerre ranger d'un seul mot tons les Polonais de leur cote,
danger qui nous a ete clairement prouve dans la derniere guerre; qu'il
etait indifferent a la Russie, une fois sa force accrue et la surete garantie
par la destruction du mecontentement interieur, si les provinces
polonaises s'administrent en corps ou separement, pourvu que les impots
et les charges fussent egalement repartis; que la Georgie n'en est pas
moins une province russe, parce que V. M. porte le titre de Tsar de
cette partie de nos possessions; que ces titres d'ailleurs separes etaient
un ancien usage de notre Empire; qu'on ne pouvait raisonnablement
soutenir que la Pologne passerait dans d'autres mains avec le temps,
parce que les memes arguments pourraient servir pour toutes les nouvelles
acquisitions; qu'une fois qu'il serait declare illegitime et criminel en
Pologne de songer a un trone electif et qu'on proflterait de la constitution du
3 Mai 1791 pour Fappliquer a la dynastie russe, une divergence de ce
principe pourrait etre etouffee dans son enfance par la force militaire,
Стр.3
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autorisee par la loi, et les opposauts ne seraient meme aux yeux des Polonais
que des rebelles, hors le cas d'ime rebellion heureuse et tout aussi admissible
dans toutes les provinces frontieres, quand meme elles n'auraient pas
le nom de royaume,- que le seul moyen de fraterniser les nations russe
et polonaise etait de proflter de I'enthousiasme de cette derniere au detriment
des puissances voisines et de lui 6ter toute juste raison de reproduire
ses griefs; que les forces militaires de la Russie, dont une bonne partie
par une sage prevoyance occuperait dans tons les cas ce royaume, seraient
touj ours si disproportionnees a celles de la Pologne, qu'aucun
homme raisonnable ne voudrait de gaite de coeur exposer son pays a
des malheurs surs et inevitables; que le commerce de la Russie gagnerait
prodigieusement en developpant toute I'industrie de la Pologne, dont
les debouches seraient toujours des fleuves et des mers russes; qu'enfln
les Polonais, ayant eu la triste experience qu'ils ne pouvaient rester independants
et isoles au milieu de trois puissances voisines, prefereront
indubitablement d'exister comme nation sous la protection de la Russie,
qui independamment des avantages importants mentionnes ci-dessus
leur offre encore un Maitre liberal et genereux, dont le gouvernement
doux et paternel cimentera Гunion des deux peuples et les attachera
plus Melement Tun a I'autre que la Hongrie ne Test a I'Autriche, puisque
ce royaume n'a pas les memes sujets d'apprehension que la Pologne au
cas ou elle voulut se separer des etats autrichiens.
Tels sont a pen de chose pres, Sire, les arguments quej'ai entendu
mettre en avant pour calmer et tranquilliser ceux que ce projet paraissait
effrayer. Si le retablissement de la Pologne entre dans les hautes
conceptions de V. M., tels doivent etre, mais perfectionnes dans leur
substance, les raisonnements dont notre gouvernement doit se servir,
tant pour demontrer aux Russes combien la reunion de la Pologne pourrait
leur devenir avantageuse, que pour prouver aux Polonais qu'il
n'existe point d'autre salut pour eux que dans les bras de la Russie et
sous I'egide de V. M.
Supposant que la restauration de la Pologne s'effectueje terminerai
ce memoire par oser soumettre quelques idees sur la marche que d'apres
mon opinion V. M. aurait a suivre des les premiers pas vis-a-vis des
Polonais et sur les considerations les plus essentielles pour atteindre un
ordre de choses stable et denue de tout ce qui pourrait I'entraver ulterieurement.
1°
II faut eviter surtout dans le commencement d'avoir lair de
traiter avec les Polonais; leurs tetes susceptibles de trop d'exaltation et
de presomption pourraient snnaginer alors, qu'on ne leur fait des concessions
que par crainte ou menagement, et cette persuasion pent avoir
les consequences' les plus funestes, si on ne la detruit pas des le prin
Стр.4
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cipe. Au contraire il faut qu'iis ayent la conviction, que tout ce que
V. M. daignera faire pour eux emanera uniquement de son coeur et
de sa volonte, et qu'iis n'y ont nullement plus de droits que ses autres
sujets.
2° La constitution ou la forme de gouvernement qu'il plaira a V.
M. dedonner a la Pologne doit etre le fruit de mures deliberations; rien
pour cet objet ne doit etre fait avec precipitation, ni pecher pas un defaut
de clarte. On doit gtre d'autant plus scrupiileux a cet egard que
les differentes constitutions de la Pologne ayant ete eminemment vicieuses,
il faudra eviter tout ce qui pourrait avoir la moindre ressemblance avec
les funestes articles des Pacta convenia, etablissant comme loi de I'etat
que la couronne serait elective et que jamais le Roi ne pourrait se
donner un successeur, indiquant tous les deux ans le retour periodique
des dietes generales, donnant a tout noble Polonais le droit de suffrage
pour relection et deliant les sujets du serment de fldelite, si le Roi atta-.
quait leurs privileges; le fameux droit du liberum veto, ce dernier armant
un seul individu, quel qu'il fut, du droit liberticide de paralyser UH gouvernement
tout en tier. Des concessions d'ailleurs qui d'apres les apparences
ne presenteraient pour le moment aucun inconvenient pourraient
quelque fois faire renaitre par la suite ces eternelles
(?) de discorde,
surtout si elles etaient exposees aux dangereuses influences de
I'etranger.
3° Chercher par tous les moyens possibles a creer un tiers-etat en
Pologne, afin de I'opposer avec succes a la noblesse de ce pays. De tout
temps les grands seigneurs polonais ont ete le fleau de leur patrie, en
achetant des suffrages pour contrecarrer le gouvernement et en vendani
les tiers (?) a I'etranger. Cet objet doit etre pris d'autant plus en consideration
que les differentes puissances du continent, jalouses de la force
que donnerait a la Russie une union bien etablie avec la Pologne, avant.
d'oser les attaquer de front, n'epargneront ni intrigues ni sacrifices pecuniaires
pour acheter des partisans en Pologne, afin d'y maintenir un
etat d'anarchie, de trouble et de rebellion. Cette marche a toujours ete
la mime de la part des cabinets de I'Europe vis-a-vis de la Pologne, et
on pent s'en convaincre en jetant les yeux sur les instructions donnees
vers le milieu du 18-me siecle aux ministres de France, d'Angleterre et
d'Autriche residant a Varsovie. Malheureusement le partage qu'avait
subi la Pologne et I'influence que la France a exercee en dernier lieu
tant sur ce pays que sur les troupes polonaises, ont etabli des relations
personnelles qui peuvent donner de grandes facilites a cet effet.
4° Pour parer a ces inconvenients et bien eclairer la marche des
malintentionnes et des intrigants, il faudra dans les commencements
surtout ne mettre a la t^te des differentes branches d'administration et
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